Comment être un yogi ? C’est une drôle de question que l’on me pose de temps en temps. Dans l’imaginaire collectif, c’est aujourd’hui très lié à la posture. L’asana, phase visible de l’iceberg, est utile. Il permet de mettre le corps en conditions pour supporter l’assise prolongée. Le fait de pratiquer les postures dissipe l’agitation. C’est aussi une bonne manière de prendre soin de sa santé, ce qui permet ensuite de s’orienter vers des pratiques plus longues, plus exigeantes. Le yogi pratique les postures, du moins pendant un temps. Au début de notre apprentissage certainement plus qu’au bout de 20 ans de pratique. C’est ensuite un excellent outil auquel on peut recourir lorsque le besoin se fait sentir. Cependant, limiter le yoga à la posture serait une erreur…

Etre un yogi ou avoir l’apparence d’un yogi ?

Bon, je vous passe ce que je pense des images sur Instagram ou autres machins sociaux où l’on voit des yogini au corps parfait dans un décor sublime exécuter des postures à la perfection.

C’est très bien tout ça, tant que ça ne génère pas de la frustration et des pensées telles que

« Purée pourquoi moi ça ne ressemble pas à ça ? Je ne suis pas si pliable. Je n’ai pas la classe. Ma tenue est moins parfaite. Moi je suis dans mon salon tout sombre / tout crade parce que pas eu le temps de nettoyer / entouré par les jouets des enfants qu’ils ne rangent jamais. Mon Dieu, ma vie est pourrie. Ça ne sert à rien de pratiquer dans ces conditions, tiens je vais plutôt m’enfiler un pot de glace devant Netflix pour oublier. ».

Petit texte issu d’un témoignage réel, mais je préserve l’anonymat du yogi qui a partagé ce ressenti.

Être yogi, je ne crois pas que ce soit faire une posture à la perfection, avoir l’air toujours zen et vivre dans un appartement témoin ou dans une maison d’exposition Ikea.

C’est appréhender la vie, ses difficultés, vivre intensément, trouver du recul dans ce merdier, trouver de la saveur dans la fadeur de l’habitude. C’est rester à la fois dans le monde et en soi, équilibre précaire qui fait de la plupart d’entre nous de très mauvais funambules : qui sait avoir cette présence dans ces deux lieux à la fois ? Nous avons cette drôle de tendance à tout compartimenter au lieu d’intégrer, à séparer au lieu d’aller vers une intégration de ce qui nous semble opposé. Et pourtant, c’est peut-être cela le plus essentiel dans le « vrai » yoga, avoir la finesse, la sensibilité pour sentir ce point de rencontre entre le beau et le laid, entre l’essentiel et l’inutile, entre l’amour et l’indifférence.

Qu’est-ce que ça veut dire, être un yogi ?

etre un yogiDéfinir c’est figer, je ne pense pas qu’il soit possible de définir ce qu’est un yogi, mais je vais essayer de donner quelques pistes, à travers mon prisme, avec mes idées, mon éducation, mon histoire... Chacun aura sa propre définition. Il faut dire aussi que je n’en croise pas à tous les coins de rue ! Ou peut-être que si, mais je n’ai dans ce cas pas appris à les reconnaître.

Est yogi celui qui trouve un refuge en lui-même et qui sait à partir de cet espace intérieur intégrer peu à peu l’espace que nous percevons comme extérieur.

C’est celui qui a une juste dose de folie : bien assez pour ne pas prendre la vie trop au sérieux, tout en conservant assez d’intensité, de présence, de volonté, de feu pour continuer à agir comme si cela était important. C’est avoir cette folie de continuer à mener ses actions quotidiennes lorsque l’on a compris que ce jeu était absurde. Un dépressif a compris l’absurdité du monde et la vanité des actes, un yogi le sait également mais il a cette joie enfantine qui continue d’irradier.

C’est celui qui sait jouer avec les paires de concepts que nous nommons « opposés », non en cherchant à les réconcilier ou à en faire une tiède moyenne, mais en se nourrissant de l’intensité de l’énergie produite par la dissonance. Dans le même temps, il est assez immobile et silencieux pour sentir le point qui relie ces tendances contradictoires, et il est assez stable pour s’installer dans ce point.

comment être un yogiC’est celui qui accepte ce qui vient sans être résigné, sans entrer dans la superstition, sans croire que tout est « pour le mieux ». Tout « est », simplement. Il n’y a pas d’ordre, pas de justice divine, pas de sens prédéfini que nous pourrions expliquer avec notre raison. Et pourtant il trouve la force de s’extasier de l’ordinaire, sans besoin d’inventer un monde extraordinaire, magique, au-delà de ce qui est perçu.

Évidemment, un yogi a le sens de l’humour et une telle capacité à se mettre en recul que certains pensent qu’il a le pouvoir de se rendre invisible.

Le yogi est bon perdant : il joue volontiers au jeu de la vie en sachant pertinemment qu’il ne peut pas gagner, mais il ne s’en offusque pas !

Et il a la capacité de s’exprimer avec justesse à travers au moins un art.

Comment être un yogi, concrètement ?

C’est joli tout ça, mais qu’en faire ? Comment intégrer tous ces concepts certes intéressants mais encore bien abstraits dans nos quotidiens ? « Comment vivre ? » serait peut-être une question plus simple et plus juste.

etre yogiCe qu’un yogi n’est pas

Le yogi se définit parfois en négatif. Comme dans la pratique d’hamsa sadhana où l’on passe en revue tout ce que l’on est pas pour s’approcher de l’indéfinissable, ce que nous sommes, nous aurions sûrement intérêt à dessiner les contours du yogi sans se risquer à esquisser sa forme.

Je n’ai pas la prétention de savoir ce qu’est un yogi ou comment devient-on yogi. Je vous partage quelques pistes qui me paraissent intéressantes et que vous êtes libres de compléter.

Questionner son rôle, sa place, son attitude

Le point de départ, ce serait une envie, une impulsion, un besoin de sens, d’aller au-delà de ce simple rôle de consommateur. Je ne parle pas ici du consumérisme ou de la société de consommation, mais de cette tendance que chaque humain ou animal a à chercher à se remplir. De nourriture, d’idées prédigérées, de théories, de connaissances même, ce n’est pas péjoratif et parfois le but est parfaitement louable. Mais si l’on se remplit trop, il n’y a plus d’espace. Or, le yogi a besoin d’un espace libre en soi pour pouvoir en permanence accueillir.

Débuter un chemin

Ensuite, pour être yogi, il faut pratiquer le yoga. Mais pour cela, il faudrait définir le terme de yoga. Franchement, je n’ai pas trop envie de me risquer à cela, même si j’ai déjà essayé (et ce sera nécessairement très imparfait). Le hatha yoga propose une méthode incluant une philosophie, des postures, des techniques de respiration et de concentrations. Plein de belles choses sympathiques pour se mettre en disponibilité. Ensuite, cultiver cette ouverture, cette présence et travailler l’écoute, l’immobilité, le silence, la sensibilité me semblent être de bonnes manières d’appréhender la suite du chemin.

comment etre plus souple

Sortir des idées préconçues

Certains, souvent de très bonne foi, vous listerons une jolie série de dogmes à suivre. A l’image d’un plan pour monter un meuble (nous voilà de retour chez Ikéa, mais je vous jure que l’article n’est pas sponsorisé), on adopte promptement ces règles lorsque l’on est un peu désespéré, en recherche, avec l’envie d’avancer (et vite !) sur le chemin.

C’est pratique, voyez-vous. Pour beaucoup d’entre nous, il est moins douloureux de se plier à des règles rigides que d’avancer à tâtons, on adopte volontiers ce type de principes. Vous trouverez par exemple qu’il être végétarien, se lever à l’aube chaque matin, répéter x fois par jour la Gayatri, porter un mala de rudraksha, se faire percer les oreilles ou couper le frein de la langue, avoir reçu une initiation d’un vrai maître (labellisé, certifié, garanti, avec le tampon yoga alliance, tout ça…), appliquer à la perfection yama et niyama, être en permanence débordant de compassion pour l’univers entier, être capable d’une équanimité parfaite, boire des tisane de *ajoutez la plante à la mode du moment*… Bref. Pour ne pas être trop méchante (et donc peut-être trop « non yogi ») je vais m’arrêter là. Vous avez saisi l’idée générale. Je suis désolée, il n’y a pas de check liste à cocher pour l’éveil. Ou alors je ne suis pas dans le secret des dieux. Si vous êtes plus avisés que moi, merci de me tenir informée !

Le blabla de la fin

Je terminerai par une simple question : pourquoi chercher à se définir ? Pourquoi chercher à « être un yogi » ? Pourquoi se coller soi-même des étiquettes, est-ce une peur de n’être rien ? Est-ce par peur que les autres nous en collent sans que nous puissions les choisir ? Ces questions touchent à la notion même d’identité. Que sommes-nous, quoi sommes-nous, quelle image avons-nous de nous-même et comment nous immisçons-nous dans la toile du monde ?

 

 

 

Sources des images :

Gyan from The Sundhya or | Free Photo Illustration - rawpixel

Portrait of a Kid - Free Image by Abhinav Thakur on PixaHive.com

yoga – Store norske leksikon (snl.no)

File:The Yogi - The Beginning - Based on true story.jpg - Wikimedia Commons

File:YOGI-AMIT3322.jpg - Wikimedia Commons