tapas yoga

Yogis pratiquant des austérités. Inde, Tamil Nadu ou Andhra Pradesh Vers 1820 Gouache sur papier Acquisition Londres, British Museum www.britishmuseum.org/collection/object/A_2007-3005-4

Le mot tapas, quand on ne parle pas des petits plats espagnols pour l’apéritif, est souvent traduit de façon hâtive par « austérité » ou « ascèse ». C’est un peu réducteur si l’on s’arrête là. Certes, quand on traduit un texte, il faut choisir un mot, même s’il est imparfait. Tout mot est imparfait, comment réduire une idée complexe, un ressenti, à quelques syllabes ? Revenons donc sur la pratique de tapas dans le cadre du yoga, et comment ce concept clé peut être porteur de transformations dans votre vie.

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Qu’est-ce que tapas ?

Tapas, yoga, feu

Littéralement, en sanskrit, le verbe tap signifie « chauffer ». Tapas, c’est donc ce qui produit de la chaleur.

On retrouve beaucoup cette thématique du feu qui doit être développé et entretenu, voire de la cuisson du yogi qui passe de l’état cru à l’état cuit grâce à la pratique. Cette image est une manière de nous faire sentir, en passant par l’évocation d’une sensation, d’un élément connu plus que par le langage, ce qui doit être développé à travers tapas.

Que produit en vous l’évocation du feu ? La chaleur physique, bien évidemment, parfois une sensation de réconfort, ou une sensation de brûlure. Vous voyez la lumière de la flamme, et vous observez son mouvement ascendant, comme si elle s’élevait vers le ciel. Le feu évoque un élément incontrôlable, dévorant, indomptable. On pourrait continuer la liste et les termes qui sont évocateurs pour vous sont peut-être différents de ceux que j’emploie, mais l’idée est là.

En yoga, on ne rejette pas l’intellect, mais lorsqu’il est possible de ressentir au lieu d’intellectualiser, la compréhension est plus profonde, plus intime. Je note au passage que c’est quelque chose qu’il est difficile d’intégrer pour nos cerveaux très rationnels.

Les qualités oubliées du feu

Une image importante lorsque l’on évoque tapas est celle du feu sacrificiel et de la purification. Si le yoga proposé aujourd’hui est essentiellement une pratique laïque, occidentalisée, sortie d’un contexte culturel, religieux, historique qui est celui de l’Inde ancienne, on ne peut pas vraiment faire l’économie de cette représentation du feu.

Le feu a toujours été en Inde le symbole de la purification, du nettoyage, de la puissance impitoyable des éléments que l’on ne peut dominer, et dont il nous appartient d’obtenir les faveurs. Les sacrifices au feu doivent être faits pour réaliser nos désirs et attirer les faveurs des dieux. De la même manière, la puissance développée grâce au tapas est celle qui nous permettra de brûler les obstacles, de purifier le corps et le mental, d’assainir un corps trop engoncé et d’aiguiser un esprit devenu paresseux.

Le développement de cette force brûlante est la véritable recherche dans tapas. Les pratiques de yoga permettent cela. Alors nous sommes assez loin de cette recherche avec le yoga moderne très axé sur la détente qui s’accompagne bien souvent d’une forme de complaisance envers soi-même et dans lequel la notion d’effort est rejetée. Les yogas qui ne prennent en compte que le corps, avec une dimension sportive, voire compétitive, ne permettent pas non plus un développement complet de tapas. L’énergie est développée, la chaleur est produite avec la mise en mouvement du corps, mais où est la conscience, où est le sens ?

Effort et abandon

Ce n’est pas pour rien que Patanjali évoque dans ses célébrissimes Yoga Sutra la nécessité de développer conjointement tapas et ishvara pranidhana, cette exigence et l’abandon à ce qui est plus grand. Cela peut paraître contradictoire pour un esprit très binaire, mais ça ne l’est pas dans la logique indienne. Ce qui guide le développement de cette force, ce qui motive cette recherche et aide à surpasser les difficultés, c’est la foi dans l’existence de quelque chose qui nous dépasse. Sans cela, tout ce qui est développé reste à un niveau très personnel, très limité.

Tapas, en pratique

Le feu du yogi

Les yogis appellent cette pratique d’éveil du feu tapas. En développant plus de puissance physique et mentale, on amène à la fois de l’énergie et un meilleur centrage. Tapas ne doit pas mener à l’agitation, qui correspondrait à un simple accroissement de l’énergie. C’est une force qui est canalisée, que l’on peut diriger. Dans nos vies quotidiennes, il est courant de développer davantage d’énergie, mais cela peut nous disperser à terme et nous épuiser. Il est également possible d’être centré, concentré, mais cela ne va pas forcément avec un développement de l’énergie. Tapas, c’est presque une définition du yoga, finalement : la recherche d’un développement harmonieux de l’énergie et de la conscience.

Allumer et entretenir le feu

Ce regain de puissance, cette disponibilité, il est ensuite possible de les mettre au service de la pratique et d’entretenir un cercle vertueux. C’est comme faire un investissement rentable (désolée pour la comparaison qui n’est pas la meilleure pour le niveau de yoguitude, mais elle a le mérite d’être claire!). On force pendant une courte durée pour gagner un supplément de revenus, ce qui nous permettra ensuite de placer l’argent mis de côté pour générer davantage d’argent. On a ensuite le choix : dépenser ce petit supplément de revenus, ou le garder sur notre placement (ou encore, en trouver un plus rentable). Disons que la banque de la conscience-énergie fonctionne un peu comme cela ! C’est très vulgarisé, très simplifié, mais vous devez maintenant saisir facilement l’idée générale.

Enclencher un cercle vertueux

Comment placer les fruits de cet investissement ? On peut avoir des effets très concrets comme un besoin de sommeil qui diminue, donc il est possible de passer une heure de plus par jour (ou par nuit!) sur les pratiques.

On peut aussi s’appliquer à davantage de présence, de conscience dans la vie quotidienne.

Vous savez à quel point un manque d’énergie peut vous conduire à faire les « mauvais » choix. Si vous rentrez à 20h du travail complètement crevés, vous avez plus de chances de manger le premier truc qui passe (oh, tiens, une pizza sauvage, allons la chasser) au lieu de vous cuisiner un plat sain.

Si vous êtes épuisé et que votre réserve de patience a été utilisée, vous allez répondre à vos clients / collègues / enfants de façon plus automatique et instinctive, ce qui est rarement une bonne chose.

Bref, vos décisions, réactions, actions… seront moins conscientes, plus primaires. Avec plus d’énergie, on est moins enclins à débrancher le cerveau pour le rebrancher sur la dernière série Netflix : on a la disponibilité pour apprendre le sanskrit, étudier un texte, méditer, écouter un enseignement… Et avancer ainsi sur le chemin en enclenchant ce fameux cercle que je qualifie de vertueux.

Les trois étapes dans la pratique du yoga

Le principe d’un cercle vertueux c’est un peu comme faire partir un tourniquet : ça demande un peu d’énergie et de force au départ et ensuite le mouvement s’auto-entretient. Cette image est assez puissante pour renforcer la motivation, je trouve !

Quand on voit la somme d’effort qu'il faut fournir au départ pour se mettre à la pratique, instaurer une habitude, changer ses routines… On y réfléchit à deux fois avant de casser ce cercle vertueux.

Quand il est enclenché depuis longtemps, il devient même plus difficile de ne pas faire les « bons » choix que de les faire… On a donc trois phases :

  • Celle de démarrage, la plus difficile, mais aussi la plus exaltante. Le danger guette les personnes allergiques à l’effort.
  • La phase de consolidation où l’ennui peut pointer le bout de son nez, mais où le niveau de difficulté a baissé. Sur cette phase, on perd tous les accros à la nouveauté.
  • Enfin, dans la phase où les nouvelles habitudes sont intégrées, la dynamique est en place. On peut y stagner, s’ennuyer, se relâcher, pratiquer de la gym douce que l’on prend pour du yoga ou de vagues rêveries que l’on appellera méditation. Il faut donc rester vigilant, mais le niveau d’effort à fournir est moins important. Il faut cependant rester vigilant et être capable de sortir, le moment venu, de cette nouvelle zone de confort.

Comment appliquer : une recette de tapas

Revenons à nos tapas. On est souvent tentés aujourd’hui de rechercher des solutions toutes prêtes, des tapas industriels en quelque sorte. Je suis désolée de tous ces jeux de mots pourris sur tapas, mais c’est vraiment ça !

On veut des recettes, on ne veut pas apprendre à cuisiner ce qui est le meilleur pour nous.

On ne veut pas chercher ce qui convient le mieux et perfectionner cette recette en permanence, on veut un truc qui fonctionne à 70 % pour tout le monde et faire le moins d’effort possible.

En yoga, cette attitude amène à une pratique moyenne, tiède, donc assez éloignée de tapas. On est dans une routine sans saveur.

Le yogi n’est pas celui qui se complaît toujours dans la médiocrité, dans l’entre-deux, dans ce qui est tout juste acceptable. Il n’est pas satisfait du minimum syndical. Tel un artisan qui aime son travail et qui met tout son cœur et toute son âme dans ses créations, il comprend que ce qui compte est le chemin et non le but, car ce but, de toute façon, c’est autre que la poursuite du chemin !

Donc la seule manière d’entrer dans l’expérience de tapas, c’est de se retrousser les manches et de définir ce qui fait sens pour soi. Tapas, ce n’est pas une performance extérieure. C’est la définition d’un effort soutenable, qui peut être répété dans la durée et qui fait sens pour soi. L’instauration d’une sadhana est un tapas : c’est une pratique contraignante, qui devra être faite quotidiennement (ou 3 fois par jour!) sur une durée fixée à l’avance. Cette pratique devient notre nouvelle priorité.

Faire feu de tout bois

Ce qui est important n’est pas tant ce que l’on pratique que la friction qui en résulte. En fait, plus vous êtes résistant, plus votre vie est facile, plus vous aurez besoin d’une pratique intense, difficile et contraignante pour produire un résultat. L’objectif est de sortir de nos routines et habitudes. De développer notre ingéniosité pour intégrer ces nouvelles « contraintes » dans nos vies. Cette sadhana vient finalement « colorer » notre vie, teinter les expériences ordinaires en y insufflant de la conscience, du sacré, et parfois… du jeu, de la surprise !

Concrètement, une personne ayant 4 enfants, un parent à charge, un travail à temps plein et des soucis personnels aura des difficultés à « voler » quelques minutes de son temps chaque jour et cet effort peut déjà être suffisant pour produire une prise de conscience, une étincelle d’énergie, une friction. Pour un jeune moine vivant tranquillement dans un sympathique monastère au sein duquel il a peu d’obligations (ce n’est pas toujours aussi idyllique, c’est pour ça que je précise!) il faudra une pratique beaucoup plus intense pour « allumer le feu ».

Tapas, yoga et vie quotidienne

Vous avez tous déjà expérimenté une forme de tapas, même en dehors d’une pratique de yoga. Revenez dans votre passé… Pensez à la sensation de fierté, de puissance, de bien-être que vous avez ressentis en renonçant à quelque chose qui procurait une satisfaction pour vos sens, mais qui allait à ‘encontre de vos convictions.

Pour parler de choses triviales, profanes, ça peut être ne pas vous jeter sur ce gâteau au chocolat parce que vous voulez prendre soin de votre santé. Vous ne cédez pas aux avances de ce sympathique jeune homme, car vous tenez à votre couple. Vous refusez ce verre de vin, car il est important pour vous de rester sobre. Cette décision génère toujours une frustration, mais renforce votre détermination, vous rend plus cohérent avec vous-mêmes et accroît légèrement votre énergie.

Donc une pratique de yoga pour provoquer tapas sera définie sur mesure pour vous, calibrée en fonction de vos contraintes, de vos aspirations, de vos possibilités, de votre expérience.

Elle aura du sens pour vous, sinon il sera impossible au bout de quelques jours de la poursuivre, l’effort demandé étant trop important par rapport aux avantages (incarnation de certaines valeurs, cohérence avec vous-mêmes, etc.).

Il est impossible de proposer « une pratique pour développer tapas en yoga », car vous l’avez compris il y a beaucoup de paramètres en jeu. C’est une histoire entre vous et vous-même, une démarche dans laquelle le maître ou l’enseignant peut vous guider, vous aiguiller, mais en aucun cas défricher le chemin ou faire à votre place…

Les aventuriers du dimanche qui veulent une balade touristique et facile, une visite guidée de leur jungle intérieure vont devoir passer leur chemin.

Pourquoi tapas est important ?

Tapas est un point crucial dans la pratique du yoga. Sans tapas, pas d’évolution, de transformation. À l’image d’un feu alchimique qui transmute, tapas permet d’éveiller en soi cette étincelle ou ce brasier nécessaire pour nous sortir de l’inconscience ordinaire.

Tapas, c’est ce qui permet de développer à la fois le feu de l’énergie et la lumière de la conscience qui brille et s’élève comme une flamme, à la fois immatérielles, fragile et puissante.

Tapas, c’est ce qui permet de s’alléger, de laisser brûler ce qui nous encombre et de faire place neuve pour l’essentiel. C’est choisir, c’est renoncer, c’est aussi comprendre que la recherche du toujours plus n’est pas une voie de salut. Ce qui est trop facile n’est pas satisfaisant. Tout l’art de tapas est de trouver une montagne à gravir qui corresponde à notre expérience de la randonnée !

On pourrait vraiment développer ce sujet, si cette thématique ou d’autres vous intéressent pour les prochains podcasts ou articles, n’hésitez pas à m’écrire vos suggestions en commentaires. La force de ce site, ce sont vos propositions. Sans elles, je ne saurais pas toujours comment aborder de façon concrète et pratique les thématiques liées au yoga.