Voici un article qui me semble parfaitement adapté à l’air du temps. Je l’écris d’abord pour moi, parce que je reçois de plus en plus de messages m’ « invitant » à apporter une « réponse rapide », à donner une réponse « dans les plus brefs délais », et je dois dire que ce type de formulation génère chez moi un certain agacement (nul n’est parfait, oui je m’agace).

Ma mamie férue d’astrologie aurait dit que parler ainsi à un petit taureau était peine perdu tant la bête est têtue. Et elle aurait bien raison, même si je ne mettrais pas cet agacement sur le compte du signe astrologique. Disons que chaque message pressant, stressant (oui parce que même les profs de yoga peuvent être soumis au stress, voyez-vous) et directif me donne une furieuse envie de l’envoyer instantanément en direction de la corbeille.

Au lieu de me fendre d’une réponse incisive, je préfère écrire ce petit texte qui permettra à toutes les personnes très pressées d’envisager un peu autrement la notion de temps. N’y voyez aucune critique personnelle, seulement l’expression d’un besoin : que l’on me laisse disposer de mon temps comme bon me semble. Et soyez assuré que je réponds dès que je le peux !

C’était mieux avant ?

Tout fout l’camp ma bonne dame, ces jeunes, ils prennent plus le temps de rien. Voici le discours un peu conservateur que l’on pourrait être tentés d’avoir. Peut-être avez-vous comme moi l’impression d’avoir de moins en moins de temps ?

Bon, je pense que c’est un effet qui est dû au vieillissement, en prenant de l’âge cette impression doit s’intensifier. J’ai consulté il y a quelques temps un merveilleux livre vraiment bien vintage que je me ferai un plaisir de vous présenter dans un prochain article, Le yoga, une école d’équilibre et de bonheur. L’ouvrage n’est pas révolutionnaire mais le ton est un brin caustique et l’auteur nous sort du brouillard new age actuel, c’est sans complaisance et je trouve que ça fait du bien. Bref. Il a été écrit en 1966 et il est déjà question « du rythme effréné », du stress, des exigences toujours plus nombreuses… S’il n’était pas daté, je n’aurais pas dit que ce texte avait 50 ans.

Pour autant, on ne peut pas en conclure qu’en 50 ans rien n’a changé. Ce qui fonctionnait auparavant sur un rythme lent a pu s’accélérer. Les mails et textos ont remplacé les courriers, les déplacements sont facilités, internet a révolutionné nos vies en permettant de faire soi-même ce qui nécessitait il y a ne serait-ce que 25 ans un rendez-vous, un déplacement, une heure de temps…

Je n’idéalise pas l’ « avant », je dis juste que les choses ont changé. Du temps s’est libéré aussi, cette rapidité de déplacement et de communication permet d’accomplir certaines tâches qui n’étaient pas vraiment palpitantes plus rapidement. Seulement, au lieu de nous contenter de ce gain de temps, nous avons ajouté de nouvelles choses à faire. Je ne jette pas la pierre à la technologie, je pense qu’il faut sérieusement observer cette tendance que nous avons tous à remplir d’une obligation le moindre espace vide, à vouloir en faire toujours plus. Les divertissements qui sont également devenus plus accessibles sont également un moyen très chronophage de combler ces petites brèches d’ennui qui ne sont pourtant pas dénuées de charme.

Le yoga et le rapport au temps

La vision du temps du yogi est-elle différente de la nôtre ?

Nous devons commencer par aborder les idées reçues à ce sujet. Dans l’imaginaire collectif le yoga c’est la lenteur, la détente, voire même une forme de mollesse ou de léthargie. On dirait donc intuitivement que le yogi est plus lent. Mais la lenteur n’empêche pas l’acuité.

Disons que le yogi n’est pas agité, ce qu’il ne faudrait pas confondre avec de la lenteur. Il sait agir quand il le doit et ne rien faire quand il n’y a rien à faire. Il peut être vif et pétillant, ce que l’on oublie bien souvent quand on observe les personnes qui « jouent au yogi » en s’astreignant à une lenteur forcée.

De l’état d’intériorité naît le calme, et ce calme permet de ne pas s’agiter inutilement. Les actions sont plus percutantes, plus justes. C’est l’inverse de « brasser de l’air ».

Dans la pratique cela se traduit par une intensité et une précision dans la manière d’exécuter un souffle ou une posture. Lorsqu’il se concentre, l’attention est centrée, dirigée sur le point qu’il a choisi. Pas de geste inutile, pas de souffle inutile, un mental qui est un outil et non un fardeau qui crée une agitation inutile.

Le rapport au temps, une question de représentation ?

De façon plus générale, la vision du temps en Inde (et dans d’autres pays aussi bien sûr) est cyclique.

Au lieu de représenter une frise linéaire comme on pouvait en voir sur les murs de la classe à l’école primaire, le petit yogi pourrait faire un joli cercle dans lequel il identifie des schémas récurrents, des cycles.

Cette histoire peut sembler un peu étrange, voir mystique. Comment est-ce possible que tout se répète ? Laissez-moi vous sortir du monde du yoga un bref instant :  

Un pro du marketing vous dirait que tout produit a un cycle de vie bien défini. Pensez-vous qu’il soit magicien ? Non je ne le crois pas, c’est seulement un bon observateur. Savoir repérer les constantes dans les cycles permet non pas de prédire l’avenir mais de saisir les grandes tendances de ce qui a plus de chance de se produire.

Revenons au yoga, donc cette distinction de 4 âges ou « yuga » peut vous sembler abstraite mais si vous l’aviez complètement intégrée (dans le sens où vous auriez été éduqué depuis votre plus jeune âge avec cette vision des choses), cela changerait certainement quelques petites choses dans votre psyché. Vous auriez probablement une manière d’envisager l’avenir qui ne serait plus obligatoirement un progrès ou un avancement mais un déplacement sur une piste circulaire.

Peut-être que le simple fait de concevoir la vie sous cet angle permettrait d’apaiser quelques angoisses. Non parce que le cycle se répète, ça je n’en sais rien, je ne me souviens pas de mes vies antérieures, mais parce que nous allons vers une boucle et non vers un horizon vide. Un cercle n’a pas de bord, pas de commencement ni de fin, tandis qu’un segment à deux extrémités qui pendent dans un vide qui peut sembler bien angoissant. Ça ne change rien à la réalité mais c’est une petite nuance dans notre manière d’envisager le monde et la vie qui peut amener une modification intérieure, ou en tout cas amorcer une réflexion.

Pranayama et yoga

Alors, le yogi va-t-il plus lentement ?

Oui ! Et pour une bonne raison. Le pranayama est également appelé « matra yoga », yoga du rythme. Si vous avez déjà pratiqué vous savez bien pourquoi, chaque souffle correspond à un rythme bien précis, rien n’est jamais laissé au hasard, le souffle est rarement libre, il est maintenant sous contrôle grâce au décompte, au rythme. La vie qui s’exprime par le souffle suit donc un rythme choisi et non un ordre aléatoire.

Nous sommes habitués à compter et à penser sur le rythme de la seconde. Les pratiques de pranayama se font sur celui du matra. Un matra c’est selon les textes « le temps nécessaire pour faire le tour du genou avec son index et claquer des doigts ». Ça ne veut pas dire qu’il faut faire ça à chaque souffle, au risque d’irriter quelque peu les autres participants au cours. Disons qu’un matra dure entre 1,25 et 2 secondes. Le décompte est donc un tout petit peu plus lent pour un yogi que pour un non yogi. Cette nuance peut sembler insignifiante mais cette lenteur permet d’amener une vraie tranquillité. Mettez-vous au matra pour une séance de pranayama, vous verrez que c’est bien plus apaisant que de rester sur le décompte à la seconde qui paraît finalement très rapide.

Le matra, pour les yoguis décalés

Pourquoi faire cela ? Le but du travail sur le souffle et d’avoir un effet au niveau du mental. En ralentissant le rythme du souffle et en s’apaisant, le rythme des pensées se ralentit lui aussi. Et il y a également une recherche de décalage. Ce petit décalage par rapport au monde qui vit sur un rythme (la seconde) amène inévitablement une sensation de recul. On peut évoluer dans le monde mais sans être obligatoirement au même rythme que lui, sans se laisser happer.

Cette recherche du matra qui est propre à chacun est une invitation à trouver son propre rythme. Dans la pratique comme dans la vie quotidienne, cherchez vos rythmes et jouez avec les décalages, sachez les apprécier.

Chacun peut vivre à un rythme différent, ce n’est pas un problème… Tant que chacun respecte celui des autres. Une fois que ce petit « détail » devient conscient, ces écarts de rythment cessent d’être source de souffrance et deviennent un jeu. On peut s’amuser à saisir les rythmes des événements, des villes, des personnes… Comme un musicien qui apprécie une musique pourra s’amuser à en retrouver le tempo. S’il veut jouer cette musique il s’adaptera à ce rythme, s’il veut en jouer une autre il entrera dans un nouveau rythme. Et s’il n’en joue aucune, il reviendra au sien qu’il connaît également !

Pour revenir au point de départ dans un souci d’appliquer ce qui est écrit et d’aborder cette réflexion sous forme circulaire et non linéaire… Chaque injonction à suivre un rythme qui n’est pas le vôtre peut être ressentie comme une forme de violence. On ne peut pas changer le monde, les attentes des autres, on ne peut pas effacer les différences de rythmes. Notre seul outil pour nous sentir bien est la compréhension. De la compréhension naît la capacité à changer ce qui ne convient pas, c’est le point de départ pour trouver des solutions aux problèmes.

Pour ma part, je choisis de voir les individus comme une infinité de rythmes. Le mien est vraiment lent et inadapté à la société actuelle, je suis incapable d’être constamment dans le rythme rapide qu’elle exige. Je fais donc des incursions choisies dans le « rythme du monde ». Comme un couche-tard n’aime pas être tiré de force du lit avant 10h, je n’aime pas que l’on me force à adopter un rythme rapide lorsque je ne l’ai pas choisi. Ça ne change rien à la réalité, la pression exercée est toujours la même. Mais la façon de traiter ces demandes est différente : c’est un jeu de changement de rythme. Comme si constamment je jouais une petite valse toute tranquille et que je décidais par moments de la transformer le temps de quelques pas en une bourrée. Même si vous n’êtes ni musicien ni danseur, vous comprenez l’idée…

Et vous, comment faites-vous pour vous adapter aux rythmes qui ne sont pas les vôtres ?