Même si vous n’êtes pas très doué en sanskrit, le terme de shavasana qui est utilisé au moins une fois et très souvent deux au cours d’une séance de yoga ne vous aura certainement pas échappé ! Histoire de poser l’ambiance, pour ceux qui ne le savent pas, "shava" signifie cadavre en sanskrit. Découvrons cette joyeuse posture qui est l’une des plus attendue lors des séances de yoga 😉

Dans cet article, vous apprendrez ce qu’est un « vrai shavasana » et j’essaierai d’étayer mes réflexions de quelques citations issues des textes traditionnels du yoga les plus connus.

Un résumé de cet article est également disponible au format audio !

L’essence de shavasana

Les postures ont des petits noms. Le nom qui est censé refléter certaines de ses caractéristiques, un genre de description succinct et imagé de la posture. Vient ensuite le mot « asana » que nous traduisons par « posture ». Pour en savoir plus sur la notion de posture vous pouvez écouter ce court podcast que j’avais enregistré à ce sujet.

Donc que révèle shavasana de l’essence de la posture ?

Disons que les morts ne brillent pas par leur vivacité. Il y a très peu de chances qu’ils se mettent à ronfler, à défoncer leurs petites peaux mortes avec leurs ongles (si si je sais bien que tout le monde fait ça en shavasana), à avoir des spasmes ou une soudaine envie de se gratter le nez. S’ils font ça, fuyez, c’est un conseil d’une yogini avisée.

Un cadavre est absolument immobile. La posture de shavasana telle que nous la voyons parfois, comme une simple relaxation, est bien loin de la recherche des yogis. Dans la grande majorité des cours de yoga nous considérons que c’est un espace de détente, dans lequel on se laisse aller à une douce somnolence et dans laquelle on ajuste constamment le corps à la moindre sensation d’inconfort.

Shavasana, le corps, le souffle et le mental

A quoi sert shavasana ? Pas seulement à se détendre, ça pourrait être une effet secondaire sympathique (comme avec la pratique du yoga en général) mais ce n’est pas ça. Le but est de trouver un état d’immobilité complète. C’est pour cela que l’on entend souvent dire qu’il s’agit d’une des postures de yoga les plus importantes. La recherche du yoga est justement l’immobilité.

De quelle immobilité parlons-nous ? Pas l’immobilité approximative d’un corps relâché. Le yogi qui s’exerce sérieusement à shavasana va s’installer de façon à ne plus avoir à bouger pendant un long moment. Il va laisser le corps s’engourdir et la sensation de toucher disparaître progressivement.

Un toucher c’est une friction, un contact, et dans l’immobilité il n’y a plus perception de contact car le mouvement a disparu.

Ensuite le souffle va se réduire, devenir très fin, subtil.

Cette étape est vraiment difficile à réaliser sans une certaine expérience du pranayama.

Enfin, le dernier mouvement qui peut faire obstacle est celui de la pensée…

Le corps et le souffle peuvent tendre vers l’immobilité mais si la pensée s’agite en tous sens, peut-on réellement prétendre être immobile ? On cherchera également à réduire son mouvement, en la centrant d’abord sur un point si nécessaire, jusqu’à la ralentir suffisamment. Lorsqu’elle est plus tranquille, la véritable présence contemplative pourra émerger.

Vous voyez, toutes ces étapes demandent une longue préparation et beaucoup de temps. Il faudra plusieurs heures pour parvenir à goûter cette immobilité profonde et complète. Plusieurs heures au cours desquelles nous aurons eu de nombreuses fois l’occasion de nous endormir…

Shavasana, posture majeure

Shavasana fait partie des grandes postures de yoga. Ces postures majeures ne sont pas nécessairement celles qui nous semblent les plus difficiles à réaliser.

La caractéristique d’un asana important, c’est qu’il peut être pratiqué par tous. Du néophyte complet au yogi se trouvant aux portes de l’éveil, chacun trouvera un bénéfice dans shavasana. Chaque pratique permettra de goûter à l’énergie, à l’ambiance que la posture propose d’expérimenter.

Ce qu’en disent les textes

Difficile de trouver dans les textes traditionnels de longues descriptions les pratiques de yoga. Nos anciens yogis faisaient plutôt dans l’explication concise, en une phrase. Et ça se comprend, le but n’était pas que ces textes servent de substitut à l’enseignement mais seulement de soutien, de rappel.

Ils n’étaient exploitables que par ceux qui avaient déjà les clefs pour les comprendre. Je ne sais pas pourquoi je mets tout ça au passé, c’est toujours aussi vrai aujourd’hui. Ces textes ont beau être lus et commentés, pour qu’ils apportent un changement en soi il faut passer à la pratique. Et ils sont toujours incomplets pour celui qui n’a jamais suivi d’enseignement.

Voici donc les quelques références faites à shavasana dans les textes.

Il n’y a pas grand-chose, même si shavasana est l’une des postures les plus souvent décrites !

Gheranda samhita

La Gheranda samhita fait référence à shavasana sous le nom de mritasana, donc la posture de la mort.

« S’allonger à plat dos sur le sol comme un cadavre, cela s’appelle mritasana. Cette posture détruit la fatigue et calme l’agitation mentale ».

Dans ce cas, la posture est vue comme une possibilité de régénération, à l’inverse de cette image de mort qu’elle semble porter.

Hatha yoga pradipika

Le Hatha yoga pradipika en fait à peu près la même description : « S’étendre à terre sur le dos comme un cadavre : ceci est le Shavasana. Le Shavasana élimine la fatigue et repose l’esprit. ».

Hatha ratnavali

Ce texte moins connu datant du 17ème siècle (donc finalement un texte assez récent) se contente de mentionner shavasana en signalant son effet, une posture qui « réduit la fatigue ». Lorsque les 84 postures sont énumérées, et c’est d’ailleurs le premier texte à le faire, shavasana apparaît en dernier.

Un peu plus loin, il est précisé que shavasana se pratique « les mains et les jambes écartées » et que la posture « soulage la fatigue causée par la pratique de tous les asanas ».

Shavasana et yoga nidra

Les yogis assimilent le sommeil et la mort.

Ce sont tous deux des états où pour la plupart des gens la conscience s’efface complètement.

Mourir consciemment c’est un peu comme dormir consciemment, quelque chose qui semble assez improbable… Et pourtant, il y a bien des rêves lucides ou des expériences de mort imminente.

Si pour la plupart des gens ces phénomènes arrivent « par accident », pour le yogi, tout le jeu est de les provoquer volontairement. Ne pas être esclave du mental, de pas se laisser sombrer dans l’inconscience, voilà sa recherche et l’étape ultime est bien de dompter l’inconscience de la mort.

Yoga nidra est donc un entraînement au maintien de la conscience. Pour s’y exercer le yogi adopte shavasana et trouve cet état d’immobilité profonde.

Dans certains groupes de yogis, le shavasana se prend dans les charniers, de préférence sur un corps mort, la nuit pour ajouter de la beauté à l’ambiance sympathique du lieu et avec l’intention de se sentir comme un corps mort. On est assez loin des pratiques fitness-bien-être que l’on nomme parfois yoga !

Bon, mais nul besoin d’en arriver à ces extrêmes pour s’adonner à la pratique de shavasana. Peut-être pouvons nous tout de même garder en tête le sens de la posture. Juste un lien avec notre condition de mortel, la sensation de proximité dans la mort et le sommeil et comme un savoir que nous pouvons nous exercer à ne pas tomber trop inconsciemment dans l’un ou dans l’autre.

Comment faire un vrai shavasana, en pratique ?

Préparer shavasana

Si vous n’avez pas expérimenté, vous verrez bien vite qu’il y a différents obstacles à la pratique. Le plus fréquent je pense est l’agitation. Si vous envisagez un shavasana prolongé, passez donc par une phase où vous pratiquez une activité permettant de dissiper votre agitation. Yoga et pranayama sont très adaptés mais chacun doit trouver ce qui fonctionne pour lui-même !

Ensuite, mieux vaut ne pas être épuisé sous peine de s’endormir dès les premières secondes. Et évitez de trop vous couvrir : si la pratique ressemble trop au moment du coucher, vous tomberez dans les bras de Morphée en moins de temps qu’il n’en faut pour dire "Om".

Dans les textes traditionnels, il n’est pas fait mention de petits coussins ou de couvertures pour ajuster shavasana. Mais ces textes sont surtout des aides mémoires, pas des guides à suivre à la lettre par tous. Le corps des personnes qui pratiquaient shavasana il y a quelques millénaires n’est pas celui des yogis d’aujourd’hui. Idéalement sans support, simplement sur un tapis. Mais s’il y a un réel inconfort au bout de quelques minutes, il faut adapter. N’oubliez pas que le but n’est pas de faire exactement une posture mais d’entrer dans l’ambiance de la posture. Vous ne pouvez pas rester immobile une heure si le dos et la nuque vous font souffrir au bout de 10 secondes…

Il y a une forme d’ouverture dans shavasana. Les pieds s’écartent, et chacun doit trouver l’écart qui convient pour permettre de relâcher complètement le bas du corps.

Même chose au niveau des bras : ils sont un peu écartés du corps, chacun ajustera et verra quel écartement amène le meilleur niveau de détente.

Glisser ses mais sous ses fesses et les laisser glisser du haut de la fesse vers la cuisse permet de réduire la courbure lombaire.

Placer ses mains sous la nuque et les faire glisser jusqu’en haut de la tête puis reposer la tête au sol allongera la nuque et réduira la courbure cervicale.

Une fois que le corps est immobile, il faut garder cette immobilité à tout prix. Quand la sensation est stable et quand on sent l’immobilité complète du corps, on apaise le souffle.

Pour réduire le souffle, il est évident qu’un entraînement assez poussé au pranayama est indispensable. L’idée n’est pas de ralentir mais de subtiliser. Comme si l’on voulait rendre le souffle invisible pour un observateur extérieur. La sensation du passage de l’air au niveau des narine devient tellement faible qu’elle n’est perceptible que par une extrême concentration.

Au niveau mental, on utilisera dharana, une pratique de concentration, pour se centrer sur un point choisi. Le centre du front est une concentration courante. Une pratique qui laissera peut-être au yogi la chance de goûter à dhyana, la méditation. Mais pour cela, on ne peut rien forcer, notre pouvoir se limite à mettre en place les conditions favorables à la venue de cet état de conscience…

J’espèce que vous prendrez plaisir à expérimenter l’immobilité complète, le vide et le silence dans shavasana. C’est une superbe pratique, qui demande une grande concentration et du temps. Accordez de temps en temps un véritable espace à shavasana dans votre pratique, je pense vraiment que le jeu en vaut la chandelle.