yoga consommation

Rare image de Ganesh au supermarché. Les dieux aussi vivent dans la société de consommation !

Cet article a été créé à l’occasion de l’envoi d’une newsletter, sobrement intitulée La diarrhée scripturale de Dharma. C’est un simple partage de point de vue… Politesse et cordialité sont requises dans les commentaires. Bonne lecture !!!

Le yoga, un produit prêt à consommer

Comme toutes les personnes qui ont choisi d'enseigner le yoga et certainement toutes celles qui sont engagées dans un "métier passion" (faire un truc de rêve qui nous passionne et ne plus jamais avoir la sensation de travailler... sauf quand il faut gérer les plannings, faire la compté, répondre à 25638 e-mails, ...) je me questionne sur la manière juste de transmettre le yoga.

Je n’ai pas envie de proposer un yoga qui se consomme, une activité pour passer le temps comme on ferait une session de gym pour perdre quelques kilos avant l’été ou une séance de ciné pour se distraire.

La démocratisation du yoga a du bon, je ne le nie pas : elle permet de faire connaître cette discipline à de nombreuses personnes et certains y trouvent au moins un peu d’intérêt, parfois un sens, dans quelques cas une vocation.

Chacun a sa vision du yoga, et sa vision de l’enseignement. Je vous donne ici les miennes, il ne s’agit pas de vérités, mais de points de vue. Le but n’est pas de convaincre, mais d’expliquer. Et de clarifier le brouillard mental, les pensées qui ne sont pas très ordonnées, et aussi d'avoir d'autres retours sur le sujet.

La plupart d’entre vous le savent : je suis en train de donner mes derniers cours de yoga hebdomadaires à la salle DharmaLyon que j’ai créée il y a 5 ans, en 2018. J'en ai pris conscience en effaçant mon nom du planning pour l'année 2023-2024, à vrai dire. Oui, je suis lente à la détente. C'est mon côté kapha.

Lorsqu’un changement s’impose, je pense qu’il est sage de prendre un temps de réflexion et de voir comment ce changement peut nous aider à mener une vie plus en accord avec nos aspirations et nos valeurs. C’est donc cette réflexion que je partage ici ! Bienvenue dans mon cerveau (même si c’est un peu le bazar).

Évolution de la pratique du yoga

enseigner le yoga en 2023Du yoga spirituel au yoga bien-être

J’ai commencé mon exploration de la voie du yoga avec de vieux bouquins, des trucs un peu vintage, jaunis, qui sentent le vieux grenier et le papier un peu moisi. Ce n’est que 10 ans après ces premières lectures que j’ai ouvert un beau livre en papier glacé avec de belles images, plus d’images que de texte, d’ailleurs.

Les vieux livres donnaient du sens et amenaient à se poser des questions. La plupart des nouveaux sont réconfortants et nous expliquent que nous aussi, quel que soit notre niveau, nous pouvons pratiquer le yoga. Je suis rapidement revenue aux bouquins vintage, tous ceux qui ont vu ma bibliothèque s’en rendent bien compte !

Le yoga était beaucoup plus "élitiste" il y a 50 ans. Pas de cours en ligne, peu d’adaptation du discours et des postures. On pourrait regretter ce manque d’accessibilité : une personne isolée, n’ayant pas de cours proche de chez elle, en situation de handicap, etc. avait toutes les peines du monde à suivre un cours !

Bref, le but n’est pas de déterminer ce qui est le mieux. Mon propos et d’amener cette prise de conscience : le cours de yoga des années 60 et celui de 2023 n’a plus grand-chose à voir, en moyenne. Bien sûr il y a encore des enseignants qui proposent des cours « à l’ancienne ». Mais cela devient rare.

Il y a 60 ans on pratiquait où l’on pouvait, avec éventuellement quelques batik représentant des divinités ou quelques yantra sur les murs. Les cours duraient le temps qu’il fallait, il y avait peu d’informations sur le yoga, les bons conseils s'échangeaient entre pratiquants.

Aujourd’hui, c’est dans un « studio de yoga » ou dans une salle de réunion à la pause dej’, ambiance aseptisée ou corporate, ou ambiance cocooning dans un studio. On peut facilement suivre un an de cours sans jamais parler à personne et les séances sont ainsi consommés, pour soi, pour se ressourcer. On peut aussi consommer sur un site, sur une appli, à la demande, sans jamais voir le moindre humain. Bientôt, ChatGPT proposera des cours de yoga.

D’un yoga où l’on cherchait du sens, on est passé à un yoga bien-être (lisez à ce sujet l’excellent article de mon prof, Khristophe Lanier, à ce sujet. Il ne manque pas d’humour !).

L’évolution de notre société a certainement eu un effet sur nos besoins, sur ce que nous recherchons dans la pratique du yoga.

Évolution propre au pratiquant

Le pratiquant lui-même évolue au cours de son apprentissage. Enfin j’espère. Disons qu’il y a des trucs qui changent, pour le meilleur ou pour le pire. Si ce n’est pas le fait du yoga, c’est au moins parce que nos vies évoluent.

Ces changements sont moins liés à la société, mais davantage à nos histoires personnelles, aux grandes épreuves et grandes joies de nos vies. Les possibilités des corps changent aussi… De mon côté, je note que j’ai un corps bien plus fonctionnel à 35 ans qu’à 15, et c’est en très grande partie dû au yoga. Difficile de déterminer les causes de ces évolutions : est-ce le yoga, est-ce la vie, est-ce le mélange ? Toujours est-il que la pratique n’est pas linéaire au cours d’une vie.

L’enseignement, transformateur de pratique

transmettre le yogaAutre facteur d’évolution important : l’enseignement. Le fait de transmettre le yoga change inévitablement la façon d’aborder la pratique. On se préoccupe de pédagogie, on cherche davantage d’exactitude, la pensée doit se clarifier pour que la transmission soit limpide. Comment enseigner quelque chose que l’on ne comprend pas soi-même ?

Le meilleur conseil que l’on m’ait donné à ce sujet est d’ailleurs celui de ne pas enseigner tout ce que l’on sait. Il me semble plus juste d’enseigner ce que les personnes qui sont en face de moi ont la capacité de recevoir.

L’enseignement du yoga transforme donc notre rapport au yoga. C’est une expérience intéressante, c’est pourquoi j’encourage chacun à tester ! Je ne vous dis pas de quitter votre job pour devenir prof de yoga ! Mais vous pouvez apprendre à votre enfant de 4 ans à faire la tortue ou discuter de yoga avec vos collègues, c’est déjà une forme de transmission.

Parfois, l’effort de rigueur intellectuel que l’on n’est pas prêt à fournir pour soi, on le fournit pour les autres. Et les questions sont de précieux outils pour déceler nos zones d’ombres, d’incompréhension, de flou.

Enseigner le yoga en 2023

10 années, beaucoup de changement

Comme je l’évoquais au cours de cette interview de Muriel au sujet du yoga « thérapeutique », de plus en plus de personnes s’essaient au yoga pour résoudre leurs problèmes.

On s’inscrit au cours de yoga comme on prendrait un médicament, sans appétence pour son goût, voire avec de l’aversion, mais heureux d’en recueillir des effets. Et si le miracle promis n’a pas lieu, on change de traitement.

Je ne dis pas que cela n’arrivait pas il y a 10 ans, mais c’était tout de même beaucoup moins fréquent. On ne venait pas au yoga uniquement pour résoudre un mal de dos ou pour combattre le stress, mais par curiosité, intérêt pour ce monde.

J’ai la chance d’avoir encore quelques élèves qui manifestent cet intérêt, mais j’admets que ce changement dans les motivations a pu avoir raison de mon envie de transmettre à certains moments. C’est d’ailleurs pour cette raison que je ne souhaite plus donner de cours en entreprise (on a le choix des activités : chorale, yoga, piscine, tricot, et il faut que ce soit tous niveaux, sans engagements, divertissant, pas trop long parce que quand même, on est pressés, alors faites-moi vite un cours qui détend en 40 minutes chrono). Là, on touche selon moi au "yoga prêt à consommer".

Cela dit, en échangeant avec des amis enseignant d’autres disciplines (musique, chant, théâtre…) on observe un peu partout cette même tendance. L’abondance de choix est parfois une malédiction !

Une pratique en constante « évolution »

Dans la tête de beaucoup de pratiquants, un bon enseignant est celui qui a 10 cordes à son arc, mais a-t-on déjà vu un bon arc avec plusieurs cordes montées en même temps ?

De plus en plus, les gens s’étonnent de mon manque de diversité : comment ça, je ne suis pas formée au massage machin, à la psychogénéalogie trumuch, aux cercles de femmes ? Ce ne serait pas un peu fade, un peu monotone, ce yoga tout simple ?

Les injonctions se multiplient : il faut être un pro de l’anatomie, connaître les Védas sur le bout des doigts, avoir une formation 1653 heures, avoir un CV à rallonge avec au moins 72 types de yoga différents.

Les obligations à rentrer dans des cases également : on trouve de plus en plus d’influenceuses (oui, je mets bien au féminin) qui distillent morale et bien-pensance sous couvert d’expertise. Moi je sais, moi je me suis renseignée, donc il faut faire comme ça, si vous ne faites pas cela vous êtes dans l’erreur, moi aussi j’ai été dans l’erreur, si vous me suivez et m’adulez je vous montrerai la bonne manière de penser.

La morale fait également son chemin : il faut être plus inclusif, plus bienveillant, plus doux, édulcorer, chouchouter…

Quoi que l’on fasse, on reste une cible pour tous ceux qui ne pensent pas comme nous, c’est-à-dire le reste du monde. Sous le feu des projecteurs, notre manière de faire est jugée, commentée, critiquée, comparée… Et le monde du yoga ne fait pas exception, comme je l’explique plus longuement dans cet article / podcast.

Prof de yoga, un métier de rêve ? Alors clairement oui… si l’on est prêt à accepter quelques contraintes qui sembleront insurmontables pour beaucoup ! Personnellement, les meilleures années de ma vie ont été celles où j’ai donné de nombreux cours. Ensuite, chacun est différent et le contexte dans lequel on enseigne joue beaucoup.

ganesh

Ganesh a tout compris : il délègue ! Il peut ensuite boire des mojitos tranquillou sur la plage

Concilier convictions personnelles de l’enseignant et attentes des pratiquants

Et il y a les attentes. Je rencontre de plus en plus de personnes venant assister à un cours avec une idée très précise de ce qu’elles devraient y trouver.

C’est un peu comme si vous débarquiez dans un restaurant en exigeant que le cuisinier suive votre recette pour préparer votre plat (on va peut-être y venir). Et ce même si vous n’avez jamais fait cuire un œuf au plat de votre vie.

Je fais partie d’une école de yogis qui ont vite résolu ce problème : soyons intègres, donnons ce que nous avons à donner et ceux à qui cela ne convient pas n’ont rien à faire ici.

Je suis personnellement un (tout petit) peu plus nuancée : il y a parfois des élèves qui ont ces attentes et ces convictions, mais qui sont prêts à les remettre en question. Je travaille donc une qualité que j’ai soigneusement ignorée durant les 30 premières années de mon existence : la diplomatie, option patience.

Donner des cours de yoga… Et après ?

Me voilà mi-figue mi-raisin

***intermède bête*** de la figue ou du raisin, qui est le plus yogi ? (réponse en fin d’article)

Un grand tournant s’amorce : dans un mois, je perdrai ce qui a structuré ma vie ces 8 dernières années : des cours de yoga hebdomadaires qui nourrissaient de grandes réflexions et de sympathiques échanges, un rythme régulier et la sensation d’être (au moins un peu) utile, préparer 4 litres de thé chaque jour pour une horde de yogis assoiffés, une salle que j’affectionne particulièrement et pour laquelle j’ai eu un coup de cœur alors qu’il s’agissait d’une ruine sans porte ni fenêtre avec des chiottes en plein milieu de la pièce (miam), la joie d’observer tout le monde s’installer avant une séance et de laisser apparaître cette drôle d’intuition qui semble me souffler quelle pratique il faut proposer…

C’est aussi un nouveau mode de vie qui m’attend : pas d’horaires à respecter, de l’espace, la possibilité de me dédier pleinement, pour une petite période du moins, à la préparation de la revue Infos Yoga, du temps libre, un cadre de vie exceptionnel… C’est aussi la zone de confort dans laquelle il est possible de s’enliser.

Rentrer dans le moule (et être une tarte)

Je ne me reconnais pas dans les modèles d’enseignement qui sont proposés aujourd’hui. Je ne suis pas la prof girly qui vient faire un massage à l’huile essentielle sur l’ajna de chaque élève pour clôturer une séance.

Je ne suis pas l’ascète qui ne jure que par les textes des sages et qui a une hygiène de vie irréprochable (selon quels critères ?), je n’ai pas envie de me vendre et d’étaler le moindre accomplissement, je développe une véritable allergie aux réseaux sociaux… Où est l’espace pour proposer autre chose ? Bon je râle, je râle, mais quelles sont les solutions ?

J’en ai trouvé une, malgré la peur de déplaire : proposer aux nouveaux une séance « sans concession », on est en mode « ça passe ou ça casse ». Ça fonctionne assez bien pour être sûr que l’enseignement soit en adéquation avec ce que la personne vient recevoir, mais je trouve que ça manque de… diplomatie. On en revient là.

Une autre solution serait de ne donner que des cours particuliers pour avoir une véritable transmission. Là encore, il y a des écueils : n’ai pas envie d’être la prof de musique qui écoute pourquoi son élève n’a pas pu bien réviser ses exos de piano cette semaine (pour avoir été du côté de cette élève, je sais que ce n’était pas agréable non plus). J’en connais qui font passer des « épreuves » pour tester la motivation de ces nouveaux élèves. Ce n’est pas comme cela que j’envisage la transmission, je ne suis pas un vieux maître en haut de sa montagne et je ne veux pas de disciples ! On verra ça quand je serai à la retraite

J’ai envisagé la création de cours en ligne, pour la bonne et simple raison que comme potentiellement tout le monde peut y participer sans aucune limite géographique, les personnes qui suivent les cours ne peuvent pas être là par hasard. Plus je me projette dans cette idée, plus je pense que c’est adapté pour des formations, mais moins pour des cours hebdomadaires avec des personnes qui débutent. On va laisser murir cette réflexion avec les figues et les raisins.

J’ai envisagé d’arrêter tout simplement de donner des cours de yoga parce que l’on peut se demander quel est le sens de l’enseignement et suis-je légitime pour enseigner ? Le milieu du yoga est quand même super toxique et c’est pour cela que je m’en tiens soigneusement à l’écart (je n’ai pas l’humour, la répartie, ni l’énergie nécessaire pour y évoluer), en étant au cœur de ce milieu que j’ai longtemps idéalisé je vois une simple réplique du reste de la société (antisocial tu perds ton sang-froid, lalalala !!!!).

donner des cours de yogaEt un petit truc m’embête : la pratique du yoga pourrait être épurée et ne nécessiter que quelques cours pour ensuite se faire en autonomie. Ce que tout le monde veut, c’est de la variété, de la nouveauté, une forme de divertissement comme je l’ai écrit au tout début. En assistant à des cours, on « achète » aussi de la motivation. Ce côté « vente » du yoga m’a beaucoup gêné, et puis j’ai compris un truc : ce n’est pas le yoga qui est vendu, c’est un cadre de pratique.

La dernière option, ma préférée, et celle que je retiens pour le moment : proposer seulement des journées de stage, mais en proposer davantage (par rapport à aujourd’hui). Cela permet de dépasser la simple découverte des cours tous niveaux et de transmettre une connaissance qui a de la valeur. Il y a du lien avec des yogis en chair et en os. On sort du yoga consommation pour amorcer une véritable transmission.

Comment enseigner le yoga de façon éthique et juste ? 

enseigner le yoga

La question n’est pas de savoir s’il faut encore transmettre le yoga, mais comment le transmettre. Sur le fond, j’ai envie de partager des connaissances, qui n’ont rien d’extraordinaire, des milliers de profs en ont davantage, mais ce qui compte change et ce qui nous fait préférer une école plutôt qu'une autre, c’est plutôt la forme, la manière de présenter.

Je sais que bon nombre d’enseignants de yoga liront cet article. Comment vous positionnez-vous dans l’écosystème yogico-professionnel actuel ?

Et en tant que participants à des cours, des stages, ou en tant que pratiquant de yoga, comment vivez-vous cela ?

***Ahhhh oui et pour cette histoire de figue et de raisin…***

C’est la figue qui n’est « pas yoguique », bien sûr ! Je me souviens d’un cours de sanskrit où nous traduisions un extrait de texte jaïn et la consommation de figues était prohibée. Erreur de traduction ? Non, car la guêpe du figuier rentre dans le fruit pour y déposer ses larves, et ne peut plus ressortir… La figue va ensuite digérer le cadavre, mais c’est pas très végé, tout ça. J’espère ne pas vous avoir dégoûtés des figues, chers yogis. Le raisin, quant à lui, est très yoguique, car comme disait l’autre, in vino veritas.