Note sur l'orthographe avant de commencer. J'applique la règle suivante pour le pluriel des mots : lorsque le mots sanskrit est passé dans le langage courant (mantra, chakra, yoga, etc.) je mets un "s" lorsque ce terme est au pluriel. Pour les mots moins connus, comme "granthi" justement, je n'en mets pas. Si cela vous choque j'en suis désolée, je ne suis pas 100% sûre de moi sur ce coup-là donc si vous savez de source sûre que cette règle n'est pas la bonne et qu'une autre s'applique merci d'éclairer ma lanterne !

Les granthi, ce sont des nœuds. Je ne prétends pas qu’il n’y en a que 3 mais disons que dans la pratique du yoga on se focalise généralement sur 3 d’entre eux qui sont les nœuds majeurs, ceux qui sont communs à tous. Une fois dénoués, l’existence s’en trouve radicalement changée. Je pense que nous pouvons tous expérimenter les effets d’un serrage / desserrage de nœud, sans rentrer dans les délires pseudos mystiques et les titillements de kundalini.

Cette histoire de nœud, c’est comme bien d’autres concepts une façon imagée de définir une réalité. Il y a des milliers de manières de présenter ces concepts, le yoga en propose une. Comme elle est assez courante et que vous la rencontrerez forcément si vous continuez à fréquenter le milieu non fréquentable des yogis, j’ai décidé de vous la présenter.

Les granthi, ça existe ?

Alors oui et non, pensez-vous qu’une idée existe ? Qu’un concept existe ?

Comme on pourrait dire que les chakras n’existent pas et ne sont que des représentations mentales qui nous servent de support pour atteindre un état particulier, les granthis n’ont pas de réalité matérielle. Mais ce qui n’est pas tangible peut tout de même avoir une part de réalité, en tout cas pour ceux qui se trouvent des affinités avec une certaine manière de présenter les choses.

C’est très concret finalement, et cette recherche qui consiste à desserrer ou dénouer les granthi n’est pas purement théorique, ce n’est pas un savoir réservé aux sages. Bien sûr, la course vers l’éveil attire beaucoup de chercheurs et seulement une infime partie d’entre eux atteint cet état. Mais faut-il pour autant considérer que tous ces efforts ont été vains ? Je ne crois pas, car si l’on répond par l’affirmative, c’est tout voir de façon binaire. L’énergie est fine est subtile, elle peut être éveillée en partie. Il en va de même pour la conscience. Si cela vous semble trop abstrait, votre téléphone peut être chargé à 10 ou 100%. Et votre niveau de conscience n’est pas le même au cœur du sommeil profond, lorsque vous buvez un verre de vin, ou quand vous écoutez une sublime musique. Ne pensez donc pas que ce savoir est purement livresque, et cherchez pour vous comment tous ces concepts peuvent transformer votre vie car au bout du compte, seule la pratique compte !

Où sont les granthi ?

Nulle part et partout, mais pourtant on trouve dans les textes traditionnels des descriptions assez précise de leur emplacement. Tout comme il n’y a pas de lotus ou de roue dans le ventre ou dans la gorge (en tout cas je l’espère pour vous), la localisation des granthi est une convention, un « truc » qui aide à les défaire. On ne prétend pas qu’ils sont dans le corps, mais le fait de se centrer dans une zone du corps lorsque nous cherchons à travailler sur un granthi nous permet d’être plus efficace qu’en se centrant sur un concept complètement abstrait et écarté de la sensation. Passer par de la théorie et des mots amène une compréhension intellectuelle qui est très bien pour écrire des livres, faire des rapports ou conceptualiser mais pour agir sur soi il faut engager le corps, nous avons un corps et une facilité à nous y identifier qui est parfois une vraie limite. Bon, disons que là nous allons nous servir de cette faculté à ressentir le corps pour agir sur nos instincts, nos fonctionnements, ce qu’il y a de plus profond, de plus ancré en nous. Car c’est bien de cela qu’il s’agit avec les granthi : connaître les fonctionnements qui nous paraissent innés, immuables, et parvenir à les transcender. Un chemin intéressant, une plongée profonde en soi, dans les eaux tantôt cristallines et tantôt troubles de notre intériorité.

Chakras et granthi

Il y a une correspondance dans la géographie subtile, dans cette carte des chakras et de nadis avec l’emplacement des granthi. A tous ceux qui trouvent des représentations, ces conventions, cette certitude sur l’emplacement de représentations mentales un peu abstraits voire fumeux, je vous comprends assez bien. Le but n’est pas de faire une représentation froide, une cartographie sèche de ce qui est censé être avant tout lié à l’émotion, à la poésie, à l’évocation de sensations. Tout cela n’a l’intérêt que si l’on sait se mettre en lien avec différentes parts de soi, qui sont représentées par le concept de chakra mais qui pourraient être accessibles autrement. Bon, nous sommes dans le contexte yoguique, indien, alors restons-y.

Le muladhara, 1er chakra (on part de bas en haut, comme pour monter un escalier) est en lien avec l’ancrage, la terre, la matérialité. Entrer en lien avec ce centre, c’est explorer ce qu’il y a de plus matériel et de plus animal en nous. C’est donc là que l’on localise le premier des nœuds que l’on appelle Brahma granthi, le nœud de l’animalité.

Anahata, le centre d’énergie du cœur, nous met face aux problématiques liées à l’ego et à la personnalité. Vishnu granthi, le deuxième nœud, est justement celui de l’ego…

Ajna, littéralement « le chef », le chakra que l’on représente au niveau du front, nous invite à explorer ce qui est lié au mental, à son fonctionnement. Rudra granthi, le dernier nœud, est celui de l’intellect. La raison, la logique sont très utiles et il faut les exercer pour pouvoir vivre une vie ordinaire. Mais le dénouement de Rudra granthi propose de développer une connaissance plus intuitive, une sensibilité qui permet de ne pas se référer à notre seule logique pour prendre nos décisions.

Les 3 granthi : chacun est lié à une peur fondamentale.

En travaillant dans muladhara on cherche à dénouer le nœud de l’animalité, à se défaire des peurs qui découlent de LA peur de la mort. Se plonger dans les sens avec conscience pour être capable de s’en libérer. Accepter sa vulnérabilité. Dépasser les fonctionnements ordinaires du corps, comme ce que l’on fait avec le pranayama en essayant de respirer très peu, avec très peu d’air, dans l’espoir peut-être de s’affranchir totalement de ce processus naturel et vital, la respiration.

Dans anahata, on cherche à délier Vishnu granthi, le nœud de l’égo et de la personnalité. Ce sont nos attachements, l’une des conséquences de cette congestion est de penser que l’on est complètement séparé du monde et des autres êtres, ce qui amène un sentiment de vide, d’absurdité de l’existence. L’ouverture au monde et aux autres est une manière de le desserrer.

Dans ajna, c’est Rudra granthi, le nœud de l’intellect, dont on cherche à se libérer. Prisonnier d’une vision trop rationnelle, on voit petit, on manque de recul, de perspective. Reconnaître que tout ne peut pas être compris et disséqué, c’est déjà faire un pas pour se défaire de ce nœud. Le développement de l’intuition est nécessaire.

On peut les voir comme des rencontres, des passages, des initiations et non comme des problèmes. Transcender les nœuds est la solution, il est impossible de refouler la tendance, cela n’aura pour effet que de resserrer le nœud.

Si l’on travaille à défaire ces nœuds, on gagne en fluidité dans la vie, l’existence suit son cours et les obstacles sont là, ils nous déstabilisent peut-être un peu mais ne nous détruisent pas. Si l’on ne fait rien, les expériences de la vie seront autant d’occasion de nous amener à y travailler. Cela peut se faire dans les grandes douleurs ou dans les grandes joies. On peut attendre de se laisser enseigner par la vie, sachant que cela se fait rarement sans heurts, ou on peut la devancer et démarrer le chemin de notre côté, pour être prêt lorsqu’une opportunité de transcender ces limitations se présentera.

Plus nous sommes dans l’ouverture et plus nous savons lâcher prise, plus les nœuds se délient. Et ça ne se fait pas sur commande, sauf pour quelques rares élus… Il y a un aller-retour permanent entre la pratique et le comportement dans la vie. Nous allons pratiquer, cela va nous transformer, cette transformation nous donnera confiance ce qui nous permettra de nous ouvrir un peu plus, et ça continuera ainsi, toujours un peu plus… La pratique est le carburant de l’ouverture, si l’on peut dire.

Divinités liées aux nœuds

Les granthi portent les noms des trois grandes forces souvent dépeintes dans la tradition indienne. Brahma, la création, est associé au premier nœud, justement celui où les problématiques liées à la matérialisation des choses, à la sexualité, à l’instinct de reproduction peuvent se présenter.

Vishnu, celui qui préserve l’existant et qui maintient l’ordre, est lié au nœud du cœur. Une zone de turbulence pour la plupart d’entre nous, le lieu où la possibilité d’immobilité et de réelle intériorité est également présente. Lié à l’attachement, ce cœur est aussi celui qui veut préserver à tout prix. L’attachement, la peur de perdre, la crainte du changement… Tenter de dépasser tout cela, c’est chercher à dénouer Vishnu granthi.

Rudra granthi, le nœud de Shiva sous la forme de Rudra, celui qui détruit et qui peut guérir. Rudra nous sensibilise à cette nécessité de détruire pour faire place nette. Que peut-on créer de nouveau dans un esprit encombré d’ancien ? Que peut-on accueillir lorsqu’il n’y a plus d’espace ? La destruction est souvent vue comme quelque chose de négatif, comme une annihilation qui doit être évitée à tout prix et c’est pourtant une nécessité.

Corps, souffle et mental sont les outils

Le terme de nœud est parlant dans le sens où toute contraction le resserre et toute ouverture, toute détente ne suffit pas à le défaire mais peut nous aider à le faire. Quand nous avons un nœud à défaire, il ne faut pas tirer dessus, il faut le détendre, et une fois que le fil est devenu plus lâche on peut s’atteler à défaire le nœud.

La proposition du yoga est de nous offrir un couteau suisse à 3 lames, corps, souffle et mental pour nous aider à nous extirper de nos nœuds personnels.

Nombreux sont ceux qui bricolent, et qui pense desserrer resserre souvent. En tout cas, ce bidouillage de nœud est comme tout bricolage un agréable passe-temps pour les dimanches pluvieux. Et pour les ingénieurs téméraires qui veulent y dédier leur vie, l’obsession guette.