On nous parle sans cesse du lâcher prise comme d'un état qu'il est obligatoire d'expérimenter pour avancer en yoga. Vous voyez le paradoxe ? Là où l'on essaie de s'abandonner, il y a toujours une part de contrôle et de frustration. On n'arrive pas à se relâcher. On a des pensées qui nous entrainent loin de notre méditation. Comme l'exprime si bien Marie Ghillebaert, une enseignante de yoga lilloise, foutons-nous la paix ! Entre contrôle et lâcher prise, comment trouver le juste milieu ?

Lâcher prise et yoga

La voie du yoga nous permet de nous recentrer. Nos oscillons perpétuellement entre nos contradictions. C'est comme ça, c'est notre nature. Le reconnaître et l'accepter est déjà une étape importante. Avec cette acceptation vient justement la capacité à lâcher-prise. Le terme d'acceptation est à mon sens plus clair. Le lâcher-prise ce n'est pas être totalement libre de toute pensée, de toute contradiction ou de tout souci : c'est la capacité à reconnaître ce qui est dans l'instant.

Dans le hatha yoga la notion de lâcher prise est parfois difficile à comprendre. Durant un cours on met le corps sous contrôle en le forçant à prendre des poses tarabiscotées pour satisfaire notre besoin de faire. On contraint le souffle également en lui imposant un rythme et une modalité qui sont loin d'être naturels. Enfin, le mental également est contraint avec tous ces mantras et ces visualisations. Où est le lâcher-prise là-dedans ?

Le lâcher-prise est éventuellement une conséquence de la pratique mais en aucun cas un pré-requis. Ce n'est évidemment pas un état que l'on décide d'atteindre, on peut au mieux mettre en place les conditions favorables pour permettre au corps et au mental d'expérimenter plus de détente. C'est ce que l'on fait au cours d'une séance de yoga ! Toutes ces choses à faire, à penser, la précision dans la posture et dans le souffle permettent dans un premier temps de canaliser l'activité mentale.

Paradoxalement dans un premier temps il faut faire preuve de rigueur pour parvenir à la détente. Le but des pratiques est de développer certaines qualités de l'énergie. En développant ces énergies, le mental est plus clair mais aussi plus apaisé. Au bout d'un certain temps, variable suivant les pratiques proposées, les personnes, les jours, etc. on peut entrevoir ce qu'est le lâcher-prise… Jusqu'à ce que le mental reprenne le contrôle ! Mais ce n'est pas grave car s'attacher à cet état c'est déjà le perdre.

Aparigraha, le non attachement

Dans le yoga de Patanjali, l'un des yamas (règles de vie en société) on trouve aparigraha qui est le non attachement. Souvent limité aux choses matérielles, le non attachement peut être interprété de manière plus large comme l'une des conditions pour atteindre le but du yoga, l'arrêt des fluctuations du mental.

Précisons que ce non-attachement n'est pas un renoncement. On ne cherche pas à rejeter tout ce qu'on a, seulement à garder un certain recul. Être capable de profiter de chaque chose tout en sachant qu'elle est éphémère. Le renoncement est une autre démarche : on rejette une source potentielle de "tentation", on n'apprend pas à maîtriser son rapport aux choses (et aux personnes).

Pratiquer le yoga sans pratiquer le yoga

L'un des moyens les plus efficaces pour expérimenter le lâcher-prise, c'est d'observer. Voici à ce propos une courte citation qui dit déjà tout :

"On refuse toujours le nouveau (…) parce qu'il y a une forme d'inconfort, il n'y a plus nos repères habituels. Tout cela il faut le constater. Voir si cela vous concerne. La vie alors devient constatation, un peu comme un romancier qui se promène dans la rue, regarde tout, note tout, sans conclusion. La vie, c'est la même chose, prendre des notes."

Éric Baret, Le sacre du dragon vert

Au quotidien, lorsque l'on est dans l'action ou dans le silence, dans l'effervescence ou dans l'ennui, pourquoi ne pas prendre un peu de recul et observer ?

Quand on y pense bien sûr car après des années à se faire happer par cet effervescence il est difficile de décider de garder en permanence ce recul. Mais ce n'est pas grave, le but ce n'est pas de faire les choses parfaitement, d'être présent en permanence. Le but est seulement de reconnaître nos moments d'absence et de reprendre chaque fois que l'on y pense notre place d'observateur.

Observateur de la vie, des émotions qui nous traversent, des pensées. Et là on peut commencer à expérimenter le lâcher-prise en offrant à ces expériences qui nous traversent un espace pour exister. Juste exister, et nous ne faisons que les accueillir, que les reconnaître.